« On voit des eczémas phénoménaux ! » : ces risques auxquels expose la mode des cosmétiques « faits maison »
Depuis quelques années, le marché des cosmétiques faits maison connaît une expansion fulgurante. Aroma-Zone, petite boutique familiale initialement spécialisée dans les huiles essentielles, en est le parfait exemple. Créée en 1999, elle a réussi, en proposant désormais à la vente huiles végétales, actifs ou encore hydrolats, à tripler son chiffre d’affaires ces trois dernières années pour atteindre 68 millions d’euros. Dans son sillage, d’autres boutiques en ligne comme Joli’Essence, MyCosmetik ou La compagnie des sens se sont élancées sur la vague du « do it yourself ».
Mais cette mode, qui se veut être un retour aux sources, au naturel, est-elle vraiment sans danger pour la santé ? Les apprentis chimistes qui composent ces produits sont-ils réellement en sécurité ? La dermatologue Catherine Oliveres-Ghouti nous répond.
Les huiles essentielles, ces puissants allergènes
« Ce n’est pas parce que c’est naturel que ce n’est pas dangereux », lance le docteur Oliveres-Ghouti. Avec la mode des cosmétiques faits maison, elle assure recevoir beaucoup plus de patients qu’auparavant, victimes de réactions aux huiles essentielles notamment. « Les plantes, ce n’est pas anodin », insiste-t-elle. Lors des congrès annuels du Groupe d’études et de recherches en dermato-allergologie (Gerda), pendant lesquels un classement des allergènes est effectué, les huiles essentielles figurent d’ailleurs en bonne place. Au-delà des limonene et linalool, ces extraits aromatiques allergènes tirés des huiles essentielles et présents dans de nombreux produits, c’est l’huile essentielle d’arbre à thé (Tea tree) qui attire les foudres de la dermatologue. « Les gens l’appliquent aussi bien sur les cors aux pieds que sur les boutons d’acné. On voit des eczémas absolument phénoménaux ! »
Parmi ses patients, Catherine Oliveres-Ghouti observe donc de sévères eczémas de contact sur les mains, mais aussi sur les paupières, où la peau est très fine et réactive, dans le cou ou sur les régions périphériques du visage. « On voit aussi de l’eczéma du cuir chevelu à cause de décoctions aux huiles essentielles ou contenant des espèces d’argiles qui peuvent être irritantes parce qu’elles sont pleine d’impuretés. Les gens les utilisent soit-disant pour se fortifier les cheveux », rapporte-t-elle.
La contamination microbienne redoutée
La dermatologue alerte également sur le danger de l’absence de conservateur : « Dès que vous mettez vos doigts dans le pot de crème, vous polluez le contenu, et ce même si vous vous êtes lavé les mains juste avant. Il peut y avoir une pullulation microbienne ou de moisissures », explique-t-elle. Or ce phénomène peut là encore entraîner des réactions.
Réaliser ces produits chez soi sous-entend aussi des conditions d’hygiène discutables, et donc de nouveau une contamination du produit. « J’ai fréquenté des usines de fabrication de cosmétiques et je peux vous dire que les conditions d’hygiène y sont parfaites, justement pour éviter les contaminations. Vous imaginez qu’il y ait une salmonelle ou un staphylocoque… », soulève le docteur Plusieurs cas de contamination ont en effet déjà été répertoriés. En 2015, une Australienne de 27 ans était devenue paralysée après avoir contracté un Staphylococcus aureus résistant à la méthicilline. Elle avait utilisé un pinceau à maquillage appartenant à une amie porteuse d’un staphylocoque doré.
Attention à l’effet cocktail
Au-delà de la dangerosité individuelle de certains produits mal utilisés, leur combinaison au sein d’une même recette peut aussi s’avérer périlleuse. « Vous n’êtes ni chimiste, ni cosmétologue. Et les mélanges se font souvent à une certaine température, dans un certain ordre… Si vous ne mettez rien dans votre produit, tout ira bien, mais dès que vous commencez à ajouter des actifs, vous prenez des risques », avertit la professionnelle.
Elle conseille donc à tous les férus de cosmétiques DIY de ne faire que des produits simples, à ne conserver « que deux ou trois jours au réfrigérateur ». Un test de la formule finale dans le pli du coude, pour s’assurer de l’absence de réaction, est aussi préconisé.
« Moi, je fais tout à la maison en matière de cuisine, mais je ne m’amuserais ni à fabriquer des cosmétiques, ni à les mettre. Pourtant je connais bien la cosmétologie. C’est quelque chose d’extrêmement complexe qui nécessite des études de toxicologie, d’innocuité, de conservation dans le temps… », indique Catherine Oliveres-Ghouti, rappelant qu’il existe de très bonnes crèmes vendues « entre 17 et 25 euros ». L’utilisation d’applications mobiles comme QuelCosmetic, élaborée par UFC-Que Choisir, Clean Beauty ou Yuka, peut par ailleurs vous aider à dénicher dans les rayons un produit exempt d’allergènes ou de composants contestés.