Ce jour-là, c’est dans deux petits ateliers de confection qu’ils sont intervenus. Le métier des inspecteurs de l’Urssaf : traquer la fraude et le travail dissimulé, prouver que les salariés penchés sur les machines à coudre le sont plus que les quelques heures que leurs employeurs déclarent. Nous les avons suivis au cœur de Roubaix.
« Combien d’heures travaillez-vous dans une semaine ? En sept jours : combien d’heures ? Dix, trente, cinquante ? » Devant l’inspecteur de l’Urssaf qui insiste, l’homme ne répond rien ou les quelques mots de français qu’il connaît, puis relance sa machine à coudre, alignée avec dix autres dans une pièce étroite, sans fenêtres, encombrée de cartons et de vêtements.
Quelques minutes avant d’intervenir dans cet atelier textile du cœur de Roubaix, Philippe Cornaille, le responsable régional de la lutte contre la fraude à l’Urssaf, avait prédit la scène. « Ils ont l’habitude, on les contrôle tous les ans… Ils vont sortir leurs papiers et se remettre à travailler. » À côté de lui, un des sept inspecteurs présents s’impatiente. « Vous avez un bulletin de paye monsieur ? Mais est-ce que vous savez pour qui vous travaillez ? »
Payée zéro euro
Le bulletin de paye, le registre du personnel, tout document démontrant l’activité réelle du lieu, c’est ce qui intéresse ces inspecteurs, chargés de vérifier que les entreprises payent leurs cotisations sociales à leur juste mesure. Et cette fiche révèle de manière caricaturale des situations surprenantes. Comme cette dame, déclarant n’avoir travaillé que 25 heures dans le mois, et payée… zéro euro. La dissimulation de salariés ou la déclaration d’un nombre d’heures minimes « alors qu’ils travaillent à temps complet voire encore davantage », c’est au cœur de cette mission que l’Urssaf. Ceux qui cousent, dans des conditions matérielles déplorables, ce sont des hommes et des femmes d’origine asiatique, certains en situation irrégulière sur le territoire.
« C’est quand même étonnant, ils disent tous qu’ils travaillent depuis ce matin ou depuis hier. »
De cet autre atelier, distant de 500 mètres à peine, un homme s’enfuit en courant à l’arrivée des inspecteurs. À l’entrée, une petite pièce sert de chambre. Suivent des couloirs donnant sur deux ateliers qui communiquent. Une grosse dizaine de personnes y travaille ; on dénombre une bonne quarantaine de machines à coudre.
Les inspecteurs peinent à savoir combien de sociétés sont officiellement installées là. Quant aux salariés, « c’est quand même étonnant, ils disent tous qu’ils travaillent depuis ce matin ou depuis hier », s’amuse un inspecteur, pas dupe. Partout, des sweats, des t-shirts, tout juste cousus ou prêts à assembler, rejoindront la petite pièce aveugle où s’entassent des vêtements déjà mis sous plastique. De quoi prouver, pour les contrôleurs de l’Urssaf, le chiffre d’affaires théorique, la dissimulation évidente de l’activité et la volonté des gérants de se soustraire au paiement des cotisations sociales. De quoi aussi faire réfléchir sur les conditions de fabrication et le prix réel de vêtements, même « made in France », que l’on achète…
Une course sans fin
« Quand on a un souci avec la banque, on change de gérant… » D’une phrase, cet employé d’un atelier textile résume la course sans fin à laquelle se livrent les contrôleurs de l’Urssaf et les exploitants de ces petits ateliers.
Comment mettre fin aux pratiques de dissimulation de certains ? « C’est du pénal : 45 000 euros d’amende et trois ans de prison », détaille Philippe Cornaille. Pas forcément suffisant pour tarir la source. Car depuis 2016 seulement, le fichier des interdictions de gérer est national. Auparavant, rien n’interdisait à l’exploitant d’un de ces ateliers de recréer une société dans une autre ville, dépendant d’un autre tribunal de commerce. Il suffit aussi de dépouiller les données du registre du commerce pour se rendre compte d’un mécanisme bien huilé. En cas d’infraction, pour se soustraire aux sanctions, les sociétés incriminées sont purement et simplement dissoutes, liquidées… et renaissent sous un autre nom, à la même adresse… et souvent aussi avec les mêmes salariés. Sur les dernières années, aux deux adresses des ateliers contrôlés, 15 entreprises différentes se sont succédé.
La sous-traitance en accusation
« Quand on a un souci avec la banque, on change de gérant… » D’une phrase, cet employé d’un atelier textile résume la course sans fin à laquelle se livrent les contrôleurs de l’Urssaf et les exploitants de ces petits ateliers.
Comment mettre fin aux pratiques de dissimulation de certains ? « C’est du pénal : 45 000 euros d’amende et trois ans de prison », détaille Philippe Cornaille. Pas forcément suffisant pour tarir la source. Car depuis 2016 seulement, le fichier des interdictions de gérer est national. Auparavant, rien n’interdisait à l’exploitant d’un de ces ateliers de recréer une société dans une autre ville, dépendant d’un autre tribunal de commerce. Il suffit aussi de dépouiller les données du registre du commerce pour se rendre compte d’un mécanisme bien huilé. En cas d’infraction, pour se soustraire aux sanctions, les sociétés incriminées sont purement et simplement dissoutes, liquidées… et renaissent sous un autre nom, à la même adresse… et souvent aussi avec les mêmes salariés. Sur les dernières années, aux deux adresses des ateliers contrôlés, 15 entreprises différentes se sont succédé.