La RSE va-t-elle définir le futur de l’industrie textile habillement ?
La Commission européenne a défini en 2011 la Responsabilité Sociétale des Entreprises (RSE) comme « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». Dans cette définition réside l’idée qu’avec le pouvoir viennent des responsabilités, et que les entreprises, en tant qu’actrices majeures de l’économie, ont un pouvoir conséquent sur le monde qui nous entoure.
La RSE a notamment été évoquée lors de la 4ème édition du Salon Traffic qui se tenait à Paris les 20 et 21 mars 2019 au Carreau du Temple, les différents intervenants faisant le constat de prises de conscience de la part des consommateurs, contradictoires dans leurs désirs. La conférence dédiée posait notamment la question de savoir comment les enseignes peuvent répondre aux demandes des clients, et comment communiquent-elles sur leurs actions ? Autant de questions auxquelles un nouveau guide pratique de la RSE cherche à adresser des réponses, au même titre que les différentes initiatives qui émergent ces derniers mois.
Le guide pratique RSE de la Fédération Française du Prêt-à-Porter Féminin
La Fédération Française du Prêt-à-porter Féminin (FFPAPF) a en effet dévoilé au mois de mars 2019 son guide pratique intitulé « Approvisionnements responsables pour des marques désirables », afin de responsabiliser les différents acteurs du secteur mode textile habillement, notamment en matière de sourcing. Il a été réalisé par le cabinet blueQUEST, se revendiquant comme « un réseau d’experts et consultants dans les domaines de la Responsabilité Sociale des Entreprises (RSE) ».
Le document est préfacé par Pierre-François Le Louët, Président de la FFPAPF, enjoignant de « passer à l’action ! ». Le guide se déploie en 3 parties : tout d’abord identifier les enjeux et les méthodes de transformations à disposition, ensuite présenter les outils didactiques à dispositions, enfin donner des exemples de marques qui ont appliqué lesdits outils et les bénéfices qu’elles en ont tiré.
« Conditions de travail indignes, changement climatique, pollution des eaux … Ces dernières années, les acteurs de la mode ont fait l’objet de vives critiques jusqu’à énoncer que l’industrie de la mode était à la deuxième marche du podium mondial des secteurs les plus polluants . Cette assertion a depuis été largement contestée mais il n’en reste pas moins que nous, acteurs de la mode française, ne pouvons ignorer les enjeux sociaux et environnementaux colossaux qui accompagnent le développement de notre secteur. »
En ces quelques lignes M. Le Louët résume les principaux obstacles que rencontrent l’industrie du textile et de l’habillement – et plus globalement notre société – depuis un certain nombre d’années. Plusieurs questions se posent, notamment quant à l’objectif fixé de l’approvisionnement responsable.
Tout d’abord, l’objectif est-il réalisable ? Quels sont les enjeux clés pour les acteurs français du textile ? Quelles sont les approches à disposition ?
En interrogeant une majorité de TPE spécialisées principalement dans le prêt-à-porter féminin, et exerçant principalement en Île de France, plusieurs éléments du guide méritent notre attention. En effet, la plupart des répondants témoignent d’une prise de conscience, perçue chez les consommateurs, mais aussi dans leur propre fonctionnement. Cependant un paradoxe demeure, car « paradoxalement, ils sont faiblement conscients de leur exposition aux enjeux sociaux et environnementaux – et ce même quand ils sourcent dans des zones à risques. » On peut donc identifier le problème majeur des entreprises dans la distance inhérente au sourcing, donc les champs d’approvisionnement voire de production se situent hors de vue et d’action, notamment pour les grandes entreprises.
Les entreprises ont donc plusieurs critères à prendre en compte dans leur chaîne d’approvisionnement : le pays de production, les filières achats, la typologie des produits (notamment les matières et les procédés de production), les relations fournisseurs et les signaux émis par les différents acteurs.
Le guide détaille ensuite les stratégies de gestion des risques sont à leur disposition, afin de remédier aux problèmes évoqués via des fiches pratiques détaillant entre autres les labels et garanties à disposition, en identifiant les enjeux des matières premières utilisées, ou encore les différents stades dans la RSE, allant de l’identification du niveau de maturité de son entreprise à une communication effective.
De l’initiative individuelle à l’initiative commune
On connait par ailleurs des créateurs et créatrices qui à leur échelle appliquent les normes détaillées par le guide. Anne Willi par exemple, créatrice de la marque éponyme et membre du panel de discussion du Salon Traffic, témoigne de son éveil personnel et de l’attention qu’elle porte aux conditions de fabrication de ses vêtements. On peut également citer la créatrice d’accessoires Amélie Pichard, la marque éco-responsable Loom, ou encore Jules et Jenn, qui par leur pratique de la slow fashion font preuve d’une conscience de leur responsabilité sociale en tant que producteurs et créateurs.
A un niveau plus global, la marque de luxe Stella McCartney a axé son développement sur le bien-être animal et la protection des océans, entre autres, et la marque américaine Reformation sur la transparence et la sensibilisation, pour ne citer qu’elles.
La RSE semble donc couvrir plusieurs domaines, vastes, à l’intersection entre préoccupations environnementales, animales, humaines, mais aussi les pratiques de déconsommation, et le refus d’une forme de boulimie vestimentaire, la rendant parfois difficile à identifier et à cerner.
Aussi l’apparition de postes de responsables RSE ou Développement Durable dans les grandes entreprises est peut être aussi la preuve de la prise de conscience des grands groupes vis-à-vis de leur rôle dans la transformation des habitudes de consommation. En matière de RSE, la loi semble moins contraignante que les demandes des consommateurs, et les différents scandales qui ont fait du bruit ces dernières années ont visiblement contribué plus rapidement au développement de ces nouvelles normes, plus éthique que juridiques.
Le rôle de l’Etat et ses représentants demeurent tout de même important, comme par exemple avec le soutien de la Mairie de Paris à l’association Paris Good Fashion, initiative souhaitant mettre en place un plan quinquennal pour engager la filière mode dans une démarche plus durable. L’association s’est fixé comme objectif la mise en place de solutions et d’actions pertinentes pour faire de Paris la capitale de la mode durable. On retrouve au sein du comité la Ville de Paris, mais aussi l’Institut Français de la Mode (IFM), la Fédération de la Haute Couture et de la Mode, la Fondation Ellen Macarthur, la plate-forme Fashion for good ou encore les Galeries Lafayette et LVMH. Des acteurs majeurs du secteur donc, qui peuvent impulser des changements significatifs – que nous découvrons en juin 2019 lors du dévoilement de la feuille de route.
Vers une nouvelle définition des lignes de l’entreprise ?
Le problème réside peut-être finalement dans cette distinction entre consommateurs et producteurs, là où l’entreprise oublie finalement sa constitution non en tant qu’entité juridique, mais en tant que structure composées d’individus, créant par là un fossé entre les stratégies individuelles et les stratégies mises en place pour le bien de l’entreprise.
Il semblerait, à la lumière des éléments évoqués, que la principale difficulté des entreprises réside avant tout dans les moyens mis en place pour capter les signaux envoyés par les différents acteurs qui entourent, accompagnent et enrichissent l’entreprise. Et ce, dans les différentes étapes de la chaîne de valeur, qui vont de la conception du produit à son utilisation par le consommateur. Malgré les contradictions inhérentes au décalage existant parfois entre le concept à sa mise en oeuvre au quotidien , la Responsabilité Sociale des Entreprises a cependant le mérite de faire bouger les lignes de valeur de ce que doit être une entreprise, notamment dans le secteur textile où la place qu’elles occupent est primordiale.
-12/04/19-