« Fabriquer une veste de montagne biodégradable d’ici 2020 »
Publiée le 26 décembre 2017 à 09:15 par Aymeric Guittet
Des vêtements de montagne pour faire pousser vos plantes ? Röjk Superwear se donne deux ans pour y arriver. Partie en croisade contre l’industrie outdoor, la firme suédoise veut rendre ses anoraks, sous-vêtements ou bonnets biodégradables et compostables, comme n’importe quelle peau de banane. Entretien avec Linus Zetterlund, qui mène la marque vers cet objectif.
Difficile d’échapper à la vague écolo qui touche les grandes marques de textile de montagne. Doudounes, pantalons de ski et même gants évoluent vers l’utilisation de duvet synthétique ou de matériaux recyclés. Cela reste insuffisant pour Röjk (prononcer « Reuk ») Superwear. Lancée en 2010, la marque suédoise insiste sur la multi-fonctionnalité de chaque vêtement et son impact nul sur l’environnement. À tel point que pour 2020, elle souhaite que l’ensemble de sa collection puisse se décomposer dans la terre. Pourquoi aller jusque là ? Le vêtement conservera t-il ses qualités techniques ? Est-ce un marché de niche qui encourage à la consommation ? Montagnes Magazine tire tout cela au clair avec Linus Zetterlund, directeur des ventes chez Röjk Superwear.
Montagnes Magazine : Récemment, Röjk Superwear a annoncé son objectif de fabriquer l’intégralité de sa gamme de vêtements outdoor en matériaux biodégradables d’ici à 2020. Qu’est-ce que ça veut dire au juste, un vêtement fabriqué en matières biodégradables ?
Linus Zetterlund : Par biodégradable, nous voulons dire que le vêtement peut devenir du compost. Si vous enfouissez le vêtement dans le sol, il s’intégrera naturellement dans la terre, sans aucune intervention extérieure. Et comme n’importe quelle peau de banane, il devient de l’engrais, qui permet de faire pousser une plante.
Notre approche se différencie aussi de certaines entreprises, qui annoncent des matériaux biodégradables, mais seulement à 80°C. Une telle température ne survient pas dans la nature. D’autres fibres biodégradables sont d’origine fossile, et Röjk se détourne de cette vision.
« Par biodégradable, nous voulons dire que le vêtement devient de l’engrais, il peut faire pousser une plante »
Pourquoi vous détournez-vous ainsi totalement des fibres synthétiques ?
Nous voulons débarrasser la nature des fibres synthétiques. L’idée est de ne pas contribuer à des perturbations du réseau trophique et causer du tort à la nature. Vous le savez probablement, nous mangeons nous-mêmes des microparticules, car le poisson en mange, les mammifères aussi.
En cela, Röjk se différencie de l’industrie outdoor, qui nous déçoit beaucoup. Ses textiles, faits pour être utilisés en pleine nature, lui causent pourtant beaucoup de dommages. Bien sûr, recycler du polyester est mieux que de ne pas recycler du polyester – et refaire des fibres vierges -, mais cela ne réglera pas le problème. Cela ne fera pas disparaître les microparticules, et contribuera toujours à la demande de fibres synthétiques.
Réussir un vêtement compostable, c’est une prouesse technique. Comment Röjk Superwear compte y arriver ?
Notre idée est d’associer des matériaux traditionnels avec de l’innovation technologique. Par traditionnel, j’entends des matériaux qui existent déjà : la laine, le chanvre, le bambou, par exemple. Tous ces matériaux naturels sont à la portée de tous, mais boudés par l’industrie outdoor, qui préfère se focaliser sur les fibres synthétiques.
Röjk Superwear ne revendique pas la création de vestes ou des pulls en chanvre, par exemple, cela existait déjà dans le passé ; mais nous les réinventons, avec une meilleure technologie, tout en conservant leur aspect naturel. Dès l’automne – hiver 2018, 70% de notre collection sera compostable. Et pour le printemps-été 2019, cela montera à 90%.
« Nous sommes encore à la recherche de la fermeture éclair 100 % compostable »
Mais concrètement, de quelle façon passe t-on de ce matériau naturel, le chanvre, le bambou, à une veste de montagne ?
Le tissu principal de la veste de montagne proviendra de fruits à coque (noisettes, noix, amandes…), de bambou, de chanvre ou de laine. Pour les renforcements sur certaines parties du corps, ce sera du chanvre, qui pousse à l’état sauvage en Roumanie. 95 % du produit est donc déjà compostable.
Les 5% restants sont les boutons et les fermetures éclair. Les boutons, on peut aussi en faire à partir de fruits à coque. Notre plus grand défi, ce sont les fermetures éclair. Aujourd’hui, leurs dents sont en métal ou en plastique. Il y a des alternatives qui se développent, avec des plastiques biodégradables, mais ce n’est pas encore prêt. Nous sommes encore à la recherche de la fermeture éclair 100 % compostable, et qui ne fait aucun dommage à la nature.
Ce qui est certain, c’est que si nous ne parvenons pas à faire le modèle qui correspond à nos attentes, nous préférerons ne pas le sortir.
MM : Vos vêtements compostables auront-ils les mêmes qualités (imperméabilité, design, chaleur…) que leurs concurrents synthétiques ?
La limite la plus évidente est la couleur. Aujourd’hui, vous pouvez ajouter n’importe qu’elle couleur à vos vêtements, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel si vous le souhaitez ! En cherchant seulement ce qui est naturel et non chimique, vous limitez votre palette. Nous utiliserons des couleurs qui viennent de produits issus de l’agroalimentaire : herbes, épices, etc. Ce sont les « couleurs de la terre ».
Pour l’imperméabilité, nous n’avons pas toutes les réponses. Ce qui est sûr, c’est qu’une veste avec des matériaux naturels n’aura pas exactement la même imperméabilité qu’une Gore-Tex. Röjk Superwear explore des moyens de parvenir à l’imperméabilité autrement, avec des cires naturelles par exemple. Elles sont chères, cela aura un impact sur le prix final. Mais une veste Gore-Tex, c’est également très cher, de l’ordre de 300 à 800 €.
« Ce qui est sûr, c’est qu’une veste avec des matériaux naturels n’aura pas exactement la même imperméabilité qu’une Gore-Tex »
Quel type de clients visez-vous ? Pensez-vous que les consommateurs sont prêts pour acheter des produits biodégradables ?
S’il y a une conscience plus forte des enjeux de protection de la nature dans la société, je reconnais que ce type de vêtements reste une niche aujourd’hui. Donc, non, je ne pense pas qu’il y ait un marché immense pour des vêtements 100% naturels. Mais la demande arrivera. De toute façon, il n’y a pas d’intérêt à faire la même chose que tout le monde. Nous sommes là pour offrir une alternative à des gens qui font attention, qui veulent quelque chose d’entièrement naturel, de durable. Mais, bien sûr, ils peuvent aussi acheter parce que le design ou les matériaux leur plaisent, ils n’ont pas besoin d’être super écolo pour aimer nos créations!
On imagine que cette transformation vers le biodégradable entraînera une hausse du prix des vêtements pour le consommateur…
En fait, non, je ne m’attends pas à une augmentation sensible. Dans bien des cas, le produit sera en fait meilleur marché que son équivalent synthétique. D’autres modèles seront plus chers, c’est vrai, mais d’une manière générale, il n’y aura pas de grosse augmentation de nos prix. Par exemple, pour la saison automne-hiver 2018, nous remplacerons le Primaloft par du bambou sur notre première couche, et cela rendra le produit moins cher.
Les vêtements compostables ne sont-ils pas un retour à une consommation compulsive ? Jusque-ici, on pouvait recycler ses vêtements ou les donner. Là, il suffira de les jeter dans son jardin… et d’en racheter de nouveaux !
Je vois ce que vous voulez dire. Röjk ne favorise pas l’idée que les gens jettent leurs vêtements. Notre concept n’est pas de dire : « ok, utilisez ceci, mettez-le dans le sol, et rachetez un produit » et d’augmenter la consommation, mais au contraire d’avoir un impact minimal sur l’environnement grâce au biodégradable. D’ailleurs, les fibres naturelles peuvent être aussi bien recyclées. Par exemple, nous allons introduire un pull fait avec 100% de laine mérinos recyclée. Et ces produits durent aussi longtemps que leurs alternatives synthétiques.
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